Apprendre face à l’IA, à quoi bon ?
Tel était le titre, volontairement provocateur, de la journée d’échanges et de réflexion organisée le mois dernier par l’Université de Nantes (Chaire UNESCO RELIA) dans le cadre de la « Digital week » qui se tenait à Nantes. Cette journée s’est terminée par une séance d’échanges entre les organisateurs et le public autour des différentes questions surgies tout au long des ateliers. Nous y étions.
“Je sais que tu triches”
Sur le tableau virtuel de l’agora qui regroupe les participants du débat, s’affiche en grand cette phrase manuscrite, censée provenir d’un enseignant et à destination d’un élève. Derrière l’accroche provocatrice, mais qui pose bien l’un des termes du débat, un titre plus académique : « Avec l’IA, quel nouveau contrat entre l’élève et l’enseignant ? ».
A la tribune, Colin de la Higuera, enseignant chercheur à l’Université de Nantes, titulaire de la chaire RELIA (Ressources Educatives Libres et Intelligence Artificielle), à ses côtés, Pierre Leducq, DRANE de l’académie de Nantes et Edwige Chirouter, titulaire de la chaire UNESCO « Pratiques de la philosophie avec les enfants ». En appui, dans la salle, des sociologues, des chercheurs venus de différents horizons. Tout autour, sur les sièges, les poufs ou les canapés, dans une ambiance de « café philo », une cinquantaine de participants aux profils variés, tous soucieux d’échanger sur les potentialités, les risques et les limites de l’usage de l’IA dans les processus d’apprentissage.
Pas de « conducteur » strict prévu par les animateurs mais des échanges libres avec la salle à partir de remarques écrites faites sur le sujet par une centaine de collégiens et lycéens réunis dans la matinée.
Les échanges sont filmés et mis en ligne prochainement sur le site de l’Université
Quelques constats, beaucoup de questions, peu de certitudes
Inutile de vouloir rendre compte en quelques lignes de la richesse des échanges que l’on retrouvera en intégralité (à venir) sur le site :
Café Jasette : pourquoi apprendre à l’ère de l’IA ? – Chaire UNESCO RELIA
Nous retiendrons néanmoins un premier constat qui porte sur la rapidité fulgurante avec laquelle l’IA a impacté l’ensemble de la sphère économique et sociale. Encore réservée à quelques spécialistes et chercheurs il y a à peine 5 ans, l’IA est aujourd’hui présente dans tous les débats et tous les médias. Plus de la moitié des quelques 140 évènements de la Digital week y étaient par exemple consacrés. L’éducation n’y fait pas exception. Quel élève n’a-t-il pas aujourd’hui entendu parler de Chat gpt ? Quel lycéen, quel étudiant n’y a pas déjà eu recours ?
Cette rapidité, cette fulgurance même, explique le peu de recul qu’ont actuellement les chercheurs sur l’impact de l’IA dans le champ social, tout particulièrement dans le champ éducatif. C’est ce qu’est venu rappeler Colin de la Higuera dans son propos introductif, en se référant aux travaux de la très récente Semaine de l’apprentissage numérique qui s’est tenue à l’Unesco début septembre. Tous les intervenants, qu’ils soient chercheurs ou ministres, issus de différents continents, ont fait part à cette occasion de la grande prudence qu’il convient d’adopter face à un phénomène aussi récent et aussi puissant dont nul ne peut aujourd’hui mesurer les effets réels en termes d’apprentissage.
Semaine de l'apprentissage numérique| UNESCO
Faut-il pour autant rester inerte et attendre les résultats de recherches futures ? Certainement pas. C’est ce qu’a rappelé Pierre Leducq, DRANE de l’académie de Nantes, en évoquant les travaux en cours sur ce thème dans tous les groupes de recherche disciplinaires pilotés par le Ministère. Le Ministère de l’éducation qui vient précisément de se doter d’un « Cadre d’usage » de l’IA adressé à tous les acteurs de la communauté éducative.
Dans la salle beaucoup de questions, de craintes aussi, entre potentialités et risques. « Les enseignants sont-ils assez formés ? ». « Existe-t-il une IA souveraine et gratuite capable de rivaliser avec les géants de la tech américaine ? ». « Le métier d’enseignant peut-il continuer à rester ce qu’il est ? ». « Le coach remplacera-il le professeur ? ». « L’évaluation telle qu’elle est pratiquée at-elle encore un sens à l’ère de l’IA ? ». « Comment se défier des promesses des industriels de la tech ? »….
Et toujours cette question récurrente « Est-il encore nécessaire d’apprendre ? ». Une question qui reçoit quand même une réponse unanimement positive de la part des participants !
Enfin une question plus politique, « Doit -on subir l’IA, y compris dans l’éducation, au titre d’une modernité assumée ou doit-on en débattre et en définir le champ d’usage dans un cadre citoyen ? ». En d’autres termes, malgré son caractère très technique et largement abscons pour le commun des mortels, l’IA peut-elle s’extraire du débat démocratique ?
A l’issue de ces presque 2 heures d’échanges, ponctuées par la lecture de fiches, souvent très pertinentes, rédigées par des élèves le matin, pas de réponses toutes faites mais des pistes de réflexion nombreuses.
Et une première certitude, c’est en se confrontant par soi-même, dans sa pratique professionnelle, aux outils de l’IA, en expérimentant, en gardant un œil critique, en se défiant des promesses, parfois mirobolantes, du marché que l’on pourra se faire une idée plus précise des avantages et des risques de l’IA dans l’éducation. Une approche validée par la plupart des participants à ces échanges dont beaucoup expérimentent déjà, de façon pragmatique, l’IA dans leurs pratiques. En tant qu’éditeur de services numériques éducatifs nous ne pouvons que souscrire nous même à cette invitation à l’action.